Théophile, Mathieu, Véronique, Théo, Gérard, Olivier, Svyet, A427, Alexane, Stéphanie, Lauriane, Pauline. Nous étions douze, tel des apôtres, ou tel une assemblée prête pour un remake du cercle des poètes disparus ce lundi autour de la table (c’est au choix pour la photo de groupe).
Après une explication parfaite du concept du Mot Ment par Théo aux nouveaux venus, nous avons eu le droit à une présentation en avant-première du nouveau numéro (Le 5 ! – le meilleur lui aussi, il parait) de la revue Hiatus qui sera lancée ce vendredi, avec dedans, des textes de Théophile et Théo !
Gérard nous a lu une lettre d’Elisée Reclus, qui parut pour la première fois dans la révolte du 11 octobre 1885 et qui est actuellement publiée dans le journal « Mon lapin quotidien». Dans cette lettre, il déclare que voter c’est abdiquer, être dupe, et évoquer la trahison.
Puis Théophile nous a montré un livret d’opéra (une première au Mot Ment !) et Mathieu a présenté le dernier essai d’Alain Badiou intitulé Que pense le poème ? qui mène une réflexion philosophique sur les liens entre poésie et mathématiques.
Alexane et Stéphanie ont présenté Adonis (déjà bien connu de certains), le plus grand poète arabe contemporain. A douze ans, il récite ses poèmes au président syrien et subjugue l’assemblée. En récompense, ce dernier prend en charge sa scolarité. Poète et essayiste, il a passé sa vie en exil et vit aujourd’hui à Paris. Il ne cesse de s’insurger contre la pensée unique, le carcan de la religion, la violence du Coran, la soumission des femmes et l’armée. L’urbanité l’oppresse et il lutte contre le retour d’un passé figé et oppresseur. Il s’affranchit également des règles poétiques. A l’inverse des longues tirades de la poésie arabe traditionnelle, il écrit des vers courts et incisifs. Nous avons lu, entre autres et à deux voix, son poème Feuilles dans le vent, une succession de 24 strophes numérotées assimilables à des aphorismes.
Amateurs d’aphorisme que nous sommes, cette contrainte s’est imposée pour l’atelier d’écriture. Il a ensuite fallu définir un thème, ce qui a été plus compliqué, et après maintes hésitations et en passant par « les députés hongrois pendant la seconde guerre mondiale », nous nous sommes mis d’accord sur : « chasseur de poussière, ou le président vient vous voir, vous lui récitez un poème, ou quelque chose en rapport avec la séance. » Bien guidés par cette consigne, voilà ce qui en est ressorti :
* Théophile :
1
Au ballet, on voit danser les poussières.
2
Les souris de l’opéra font parfois des entre-chats pour prendre des raccourcis.
3
Un jour Carmen rencontra Esmeralda sur le parvis de Notre-Dame. Elle bossait fort.
4
Gargantua eut tort, cette fois-ci, de prendre l’opéra pour un gâteau.
5
Un jour, le Malade imaginaire trouva un médecin diligent qui l’opéra.
6
Un monsieur me dit un jour : « je préfère les salles dites wagnériennes aux salles à l’italienne. On peut y roupiller plus discrètement. »
7
Un valet oublia sa livrée, honteux, il se couvrit d’un livret d’opéra et fut alors vêtu comme un page.
8
Quand à l’opéra il y a des chanteuses opulentes, alors il y a toujours du monde au balcon.
9
« Allô, allô, à l’opéra. » Puis il raccrocha.
10
Adonis eut facile de charmer les poussières avec une flûte enchantée.
* Mathieu :
1. Le président Sadam el Macrone est venu me voir. Il avait les yeux bleus comme la mer et m’a reproché, les listes à la Prévert.
2. L’autre aussi, « la candidate » avait les yeux couleur de l’océan, mais sa pensée errait parmi les sources, douteuses.
3. Tombeau de liberté, j’irai à Tours, le 24 avec le masque impavide et la fausse sérénité des brebis qui passent un examen. Les feuilles s’envoleront, collées aux murs de la maison Balzac.
4. Samedi soir à Beyrouth, s’exprimera le chanteur rebelle à l’anneau d’or. Une porte, un lit, c’est l’ennui.
5.Des décontractants sont à prix libre, dans la trousse à pharmacie des réfugiés. Que disent les pauvres sous les briques de terre cuite?
6. La poterie, c’est l’art des étrusques, qui furent chassés par l’empire romain pour céramique mal stationnée. Des rois il ne reste que l’idée, des assiettes, n’en parlons pas.
7.Hier, près d’Eulmont, avant la ferme de la Bouzule, peut-être aurait-on dû choisir un autre nom, j’ai garé mon vélo contre une rambarde, cependant qu’une guêpe, pleine de ressentiment, piquait ma curiosité.
8. Laxou est un incendie, Laurent Garcia a mis le feu aux poudres, a fait feu de tout bois, s’est brûlé les ailes. Icare, sa voiture, pas loin.
9. Quand je ne saurai plus compter, il me restera la poésie: extrait bancaire de rome antique.
10. Près du charmeur de poussière, un balayeur tenait son objet comme une baguette. Sûrement, il comprenait beaucoup de choses.
* Théo :
1 –
J’ai rendez-vous avec
L’ordre établi
En métro
2 –
A Harlem – New York
Une nuée de Walt Whitman
Sans abri
3 –
Joe urine sur la fourmilière
Depuis l’échafaudage
Couperet
Sur une cité entière
4 –
Éolienne
Guillotine
Des oiseaux
5 –
Élisée Reclus
Rendrait visite
Sans aucun doute
A notre ami Gérard
En barque par la Moselle
6 –
Mon amour
J’ai rosé le rangé
Dans la forte du prigo
7 –
Nous étions douze aujourd’hui
Ne manquait qu’un prophète
Pour allumer le feu
Et tirer le houblon
8 –
A Bajram Curri – Albanie
Il nous montra la direction
Du Kosovo
Piano
Piano
9 –
Rien de neuf
10 –
Au musée Émilie du Châtelet
Théophile fait du gringue
A des mémés
* A427 :
1
Marche dans les murs de poussière
2
A tire d’aile penché sur les gravas
3
S’embourber dans les barbelés noyés
4
Pavés froids et plastiques
5
Dimanche matin, jugé et reconduit à la frontière
6
Soulever les lignes trop droites
7
Ecrire pour avance, avant les barreaux
8
Marcher dans les murs creux plein de haine
9
Croiser des regards et briser les barrières
10
Crier pour avancer, avant les balles
11
Soulever la poussière
* Alexane :
1
Pendant l’enfance,
Les pieds dans le sable,
Plein d’innocence,
De quoi serons-nous capables ?
2
Vient l’adolescence,
Les chemins de l’errance,
Des envies de révolution,
Face à la société de l’oppression.
3
Adulte assailli par les grands airs,
De personnes inaccessibles,
Au discours inaudible,
L’esprit est poussière.
4
Allongé dans la boîte,
Les idées déchues miroitent,
Personne n’avait demandé,
D’exister.
Bibliographie :
– Que pense le poème ?, Alain Badiou
– La bande dessinée au tournant, Thierry Groensteen
– Le livret d’opéra de Issé
– La revue Hiatus
– Le journal Mon lapin quotidien
– Mémoire du vent, Adonis (Poésie !)