Dans son sixième numéro dont le dossier traitait de la faille, REVU avait souhaité mettre en avant deux poèmes de la poétesse alsacienne Michèle Finck dont les mots résonnaient de façon stupéfiante avec notre quête polysémique de la faille.
qui n’a pas de larmes a-t-il encore visage ?
Michèle Finck part donc en quête des larmes. Et cela peut paraître curieux, mais elle part les chercher dans ce qui lui fait du bien : la mer, la musique, la peinture et le cinéma. Et pour atteindre quelle connaissance ? La connaissance de soi ? Ou la connaissance renouvelée, par les larmes, de la mer, de la musique, de la peinture et du cinéma ? Ou voyons plus large encore : la connaissance du monde ? Il semble que ce soit tout cela un peu à la fois.
En ce cas : sont-ce des larmes de tristesse ou celles qu’on verse devant trop de beauté que Michèle Finck cherche presque désespérément ? Ne sont-ce pas les mêmes au fond, reliquats salés de nos émotions, agréables comme insupportables ?
Mais ce chemin vers les larmes est aussi une quête hantée par les disparus ; hommes, femmes, connu·es, aimé·es. La sensation côtoie alors le souvenir. Le lecteur est pris dans un tourbillon jalonné de bornes qui marquent l’entrée dans un territoire : ici celui de la mer qui convoque les vertus de la nage, un monde fait de sel et de soleil où le lecteur oscille entre réflexions et haïkus de pures sensations.
Hors
Marcher mordue à la moelle par la mémoire.
Crâne rongé de souvenirs carnassiers.
Bracelets de ronces autour des jambes.
Écharde de violon fichée dans l’os.
Et coups profonds et sourds de la douleur :
Seul diapason dans la nuit de la tête.
Suis tombée
Hors-les-larmes.
Mais savoir faire la planche sur la vie
Comme on la fait sur la haute mer
Et que peu à peu on l’évite sans
Plus sentir si on est vivante ou morte.
Là celui qui fait dialoguer poème et musique dans une conversation d’art à art. Le poète s’efface alors, ne se faisant plus que le vecteur d’une émotion artistique à une autre. Tous les morceaux chantent les larmes (Bach, Schubert, Webern, Britten) et comme en miroir, toutes les peintures y répondent à leur manière (Masaccio, Van Gogh, Arp). Puis c’est les films qui entrent dans la danse (Tarkovski, Bergman, Rossellini).
Voix de contralto vacille à la recherche
De l’origine des larmes.
Mettre des mots sur un son, un silence, sur une touche, un aplat, un plan ou une scène pour créer le poème et par là s’approprier (peut-être) les œuvres des autres.
Mais le constat d’échec plane comme une ombre au-dessus de chaque effort : avoir tant de fois contemplé la Voie lactée des larmes, dans le ciel de la mer, dans le ciel de la musique, dans le ciel de la peinture, dans le ciel du cinéma. Mais cet or sacré stellaire glisse entre les doigts pour aller au tout-à-l’égout des rêves.
Et la crainte de la quête impossible s’instille alors :
Ai-je voulu apprendre les larmes. En vain ?
Être à jamais La Sans-Larmes ?
Mais Michèle Finck, qui se fait fille de la faille, sait aussi que ce n’est pas seulement dans la contemplation de la beauté qu’il faut aller puiser la parole mais aussi au plus profond de soi. Si les larmes peuvent être provoquées par la beauté du monde ou de l’art, c’est pourtant bien de nous qu’elles doivent surgir.
À la faille
Descendre au fond de la faille.
Forer. Fouiller.
Faire de la faille force.
Engouffrer langue au fond
Des fissures des anfractuosités.
Engouffrer langue.
Mue par l’énergie de la faille.
S’élancer vers. S’éjecter vers. Quoi ?
Parole. Parole bafouillée défaillante
Peu à peu façonnée psalmodiée rythmée.
Faille : don. De souffle. De lumière.
Pas poésie sans ultimatum :
« Travailler la faille.
Sa fièvre. Sa foudre.
Faille relie l’être à l’autre.
Fie-toi à tes failles. Elles te rendront : Profonde. »
Le recueil est bâti sur plusieurs sous-parties : Court-circuit / Les larmes du large / Musique des larmes / Musée des larmes / Cinémathèque des larmes / Êtrécrire / Celle qui neige. Ce séquençage s’accompagne d’une présence, celle d’un chœur, semblable au chœur antique, qui prélude de façon plus ou moins mystérieuse les poèmes à venir. Débutant par « bouche fermée », il enchaîne par « bouche mi-close » et se termine par « bouche ouverte ». Tout est dit des vertus de la parole poétique.
Les
Larmes
Non
Pleurées
Sont
Celles
Qui
Font
Écrire
En filigrane le texte ne cesse de questionner la présence (ou plutôt l’absence) de Dieu de la même façon qu’il pose la question de la définition de la poésie. Quelle est-elle au fond ? Tellement insaisissable que les définitions se multiplient pour arriver à la fin vers celle-ci (définitive?) :
Poème
Ce
Qui
Neige
Quand
On
A
Tout
Brûlé
Et encore plus définitif :
Poésie :
Obstination.
Et tout aussi vrai :
Poésie :
Traire les ténèbres ?
Terminons sur ce point d’interrogation. C’est beau les points d’interrogation.
Michèle Finck, Connaissance par les larmes, Arfuyen, 2018
•• Florian Crouvezier