Le cow-boy et le poète, c’est une aventure. Une aventure géographique et temporelle. Bienvenue au Far-West et tout le décorum : plaines infinies et soleil écrasant, saloon et poker, Winchester et stetson. Mais c’est aussi et surtout une aventure dans la langue. Anne Kawala avait publié un très beau poème, « Rituel aux cordes d’or », dans le sixième numéro de REVU. Ici elle va plus loin dans le jeu. Car oui ce recueil est un jeu avec la langue, la langue orale mais aussi la graphie, ce qui fait que ça joue autant à l’écoute qu’à la lecture. Ça joue avec l’espace sonore, ça joue avec l’espace de la page. D’ailleurs l’autrice ne s’en cache pas :
trois dimensions c’est sens, son et graphie
Ça tombe bien, il y a d’un côté un recueil imprimé composé de deux colonnes et de l’autre un CD. Enregistrement nécessaire pour une raison simple : deux voix se répondent et parfois se mêlent. Et je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il est impossible de lire deux textes en même temps, alors qu’on peut les entendre. C’est l’épopépoème. Et puis sur la page, il y a d’un coté l’épopée du cow-boy et de l’autre le poème du poète qui commente le poème s’écrivant (ou se lisant), toujours en parallèle, en écho l’un avec l’autre.
Ce recueil, qui est en fait un seul et long poème, narre les aventures d’un cow-boy, de son cheval et du pactole caché sous sa selle. Son but : acheter un ranch et se poser peinard. Mais comme dans tout bon western, ce n’est jamais aussi simple. Finalement c’est avant tout une fuite. D’ailleurs le poème lui-même résume bien la situation :
son destin : choisir entre les indiens, les poursuivants, les hors-la-loi, les déserteurs, les cow-boys, les chiens errants
Alors bien sûr Kawala joue avec les codes et clichés du western. Et questionne ce jeu :
QUELLE SUITE SURVIT LORSQU’AU MYTHE UN GANT EST JETÉ, UN AFFRONT COMMIS ?
Il est d’ailleurs intéressant de noter que son écriture est à la fois une poésie à entendre tout en étant éminemment cinématographique. D’ailleurs le méta-poème fait parfois office d’indications sur le décor, les attitudes, presque les plans de caméra tandis que le poème serait le scénario.
Même le lecteur se voit à un moment interpellé :
Rêverie d’un aparté s’adressant à vous, vous auditeurs, qui seriez dans la rêverie engagés, assis, en rond, autour, debout, scrutant, là, la langue qui faille

Deux risques à ce type de recueil : que l’écoute soit à première vue, je veux dire à première ouïe, cacophonique. Pour ma part, j’ai procédé de façon simple : j’ai lu le poème en entier, puis le méta-poème d’abord laissé de côté en enfin j’ai écouté l’enregistrement. Deuxième écueil à éviter : que la forme chevauchécrase le sens comme elle le dit. Dans une sorte de cacophonie du sens. Et je dois reconnaître que ce cow-boy solitaire a su éviter les obstacles et prouver que la poésie peut conter des histoires.
Note : Le cow-boy et le poète, sous-titré (chevauchépris) est sous-sous-titré partition pour deux interprètes, ce qui clarifie l’aspect d’une œuvre à première vue très littéraire, très cinématographie mais avant tout très musicale.
Anne Kawala, Le cow-boy et le poète (chevauchépris), éditions de l’Attente, 2011
•• Florian Crouvezier