Il n’est pas quinze heures. Le menuisier qui doit réparer la porte d’entrée (montant désossé) n’a pas encore garé son combi bleu pétrole devant le garage de la voisine (râlera/râlera pas) et je flâne dans le mien, triant avec flegme de vieux déguisements, restes des soirées d’antan, quand vous savez on pouvait, et
je vois l’enveloppe
que j’ouvre c’est écrit Fanny Garin au verso, dedans – NATURES SANS TITRE – couverture sérigraphiée vert canard, tirage à 300 ex. numérotés, façonnés dans les ateliers liégeois de Poésie pur porc ; Angle Mort Édition.
Le menuisier sonne // Abandon de livre sur établi, sciure.
Plus tard enfin, l’ouvrir – Concierto de Aranjuez tourne volume intense sur un vieux disque qui craque – et se prendre aux mouvements des vers italiques introducteurs il reste du vert cette montagne sans bruit une carte postale glacée, montagne qui toujours demeure, pages défilantes, dans le paysage, le paysage du paysage, sur les murs mycoses d’une chambre, de draps, dans les accents des baises fantômes et l’on se prend, livre en cours, à danser tout en (le on serait pudeur pour seule, ou alors choix sonore) réalisant que cela nous échappe, tout est géomorphologie, les strates sont par trop imbriquées, humus, corps, sexes façonnés, parenthèses, postures de poètes, chasse au lièvre, lierre, lèvres, loup
Et quel bonheur d’endurance, sens éveillés, dans l’ivresse du parcours des – NATURES SANS TITRE – ; je me trouve grisée par l’immanence des locutrices, des locuteurs, les sujets s’annulant les uns après les autres.
« méthodique écrire la montagne je ne peux alors : j’écris méthodiquement les baises de fantômes : l’arbre dont je vois un morceau depuis le sol de la chambre, une confusion entre parquet et moquette qui brûle la surface du dos, les ombres nombreuses des feuilles sur ton dos qui est seul, tourné vers le plafond ; ton dos dit qu’il est seul tandis qu’il se supprime à moi ; ces jours son dos ravale sa sueur. maintenant ce n’est plus ta sueur qui se mêle à
mienne,
quelques gouttes de pronom il sur mon sexe »
Depuis la parution de REVU n°8, j’avais abandonné toute lecture de poésie contemporaine pour la bande dessinée, Foucault, Elsa Dorlin, un guide de jardinage bio, doutant peu à peu ; y retournerais-je un jour ou serait-ce la fin d’une idylle ? Fanny Garin me rappelle, alors que je sais désormais préparer une culture en côtières, combien les retentissements diffus, foudroyants, indélébiles, de quelques vers, combien le plaisir d’un rythme d’écriture, combien l’amour du texte – pas plus que celui de la montagne – ne vous lâchent pas.
Merci à elle, pour ses mots, ses paysages multiples et sa générosité.
Vous pouvez commander – NATURES SANS TITRE – directement auprès d’Angle Mort Éditions.
Par ailleurs, Fanny Garin avait précédemment publié Des disparitions avec vent et lampes (éditions Isabelle Sauvage), dont vous pouvez retrouver des extraits dans REVU n°4-5.
Théodora Maurice